Mardi dernier, la juge du tribunal pénal de Mendoza, en Argentine, Eleonora Arenas a relaxé Oscar Jégou et Hugo Auradou après cinq mois de bataille judiciaire et médiatique sur fond d’accusation de viol avec violence. Malgré ce verdict soulageant, personne n’est gagnant.
L’attente fût longue, l’épilogue final repoussé à maintes reprises, c’est désormais officiel. Le non-lieu marque la fin d'une affaire judiciaire qui aura duré cinq mois. Cinq longs mois pendant lesquels tout et son contraire ont été posés sur la table au sujet d'Oscar Jégou et Hugo Auradou. Si la Fédération Française de Rugby a exprimé « son soulagement » à l’issue de cet épilogue heureux, ou encore si d’autres parlent de l’affaire au passé, tout n’est pas aussi rose que ce qu’on nous laisse l’entendre.
Le terrain de jeu des scribouillards
On s’était abstenu volontairement d’écrire sur le sujet dans nos colonnes avant le dénouement judiciaire. Faute de trop. L’affaire est connue de tous. Pas besoin de vous en rappeler les faits, l’encre a suffisamment coulé dans de nombreux canards. Les journalistes, « scribouillards » que nous sommes, se sont tous attribués les faits à leur sauce. À commencer par les médias locaux argentins : MDZ Infos avait sorti le scoop quasiment en temps réel alors que la police était encore dans l’hôtel Emperador de Buenos Aires sous les visages choqués du groupe France. Comme quoi la barrière est fine entre médias et justice. À se demander si le travail des uns ne servirait pas les intérêts des autres, ou finalement tout le contraire.
Le travail de longue haleine de la justice, qui n’a cessé de repousser le délibéré final, n’a fait qu’augmenter le nombre de papiers rubriqués sous l’appellation commune « affaire Jégou-Auradou ». La société tout entière y est allée de son commentaire, ne s’arrêtant pas aux frontières du petit monde du rugby. Les deux joueurs, jeunes – encore faut-il le préciser – sont connus presque uniquement par leurs noms et d’office catégorisés dans la case des méchants du conte. Une exposition médiatique, contre le gré, face à laquelle ils se sentent bien impuissants. Les larmes sur leurs joues, lorsque leurs avocats leur annoncent l’heureux dénouement, témoignent de ce long cauchemar.
Les juges et avocats ont rapidement été mis en porte-à-faux face aux dires de cette société qui ne laisse plus de place à la nuance et la patience. La plaignante elle-même s’est retrouvée jugée par une armée de pseudos psychologues et pseudos médecins. L’authenticité de ses propos est systématiquement remise en cause sans même avoir l’ensemble des éléments de justice. Il n’y avait pas la place pour l’hésitation, il fallait avoir une opinion et l’exprimer. Une machine infernale engrenée par le monstre médiatique, finalement seul gagnant.
Un boulet à traîner
Pendant cinq longs mois, Oscar Jégou et Hugo Auradou ont été trainés dans la poussière, pour certains, le monde professionnel devait leur fermer la porte au nez. Maintenant leur innocence prouvée, reste à apprivoiser un retour à la normale particulier. Certes, ils ont rejoué en club – n’échappant pas aux critiques tout de même – mais sous une extrême discrétion : pas d’apparition devant des micros tendus, visages souvent fermés, seules les prestations sur le rectangle vert faisaient office de parole.
Durant le reste de leur carrière, bien qu’ils soient innocents, l’ombre de ce récit resurgira au moindre faux pas. Dans l’imaginaire collectif, les noms de Jégou et d'Auradou seront forcément associés à cette fameuse tournée de la honte du rugby français, servant de référence à titre comparatif pour les prochaines affaires de la sorte (ce que personne ne souhaite). L’histoire retiendra que c’est à partir de ce feuilleton que le rugby français a changé son fusil d’épaule sur les libertés accordées aux joueurs et sur le durcissement des dépistages de drogue au sein des clubs. Le tabou des troisièmes mi-temps, et ce qu’il s’y passe réellement, est, lui aussi, brisé depuis. Un fardeau lourd à porter pour deux garçons de 21 ans.
Un sport abimé
C’est une entité dans sa globalité qui en a pris un sacré coup. Déjà réputé comme un sport viril, masculiniste, allant à l’encontre des dynamiques sociétales actuelles, le rugby a été plus d’une fois remis en question sur ses dites valeurs, embarquant tout son monde avec. D’après un sondage Odoxa datant de début septembre, 64% des Français pensent que les affaires de l’été ont dégradé l’image du sport. Toujours selon la même source, 34% des amateurs de rugby estiment être susceptibles de se « détourner du rugby ». Sale vitrine pour une discipline qui cherche à se démocratiser.
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